06/03/2017

Le dernier rapport de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le logement convenable dénonce l'impact de la financiarisation du logement sur les droits humains

Mercredi dernier, Leilani Farha, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le logement convenable a présenté son dernier rapport lors la trente-quatrième session du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies (27 février-24 mars). Le rapport porte sur la financiarisation du logement et son impact sur les droits humains. La rapporteuse invite les institutions publiques à redéfinir leurs relations avec le secteur privé et à revoir la régulation des marchés financiers, afin d’assoir le logement comme un bien à fonction sociale et un droit humain.


Une approche basée sur les droits humains face à la financiarisation

Le droit à un logement suffisant correspond essentiellement au droit à un lieu où vivre en toute sécurité et dans le respect de la dignité humaine. Il est interdépendant des autres droits humains, en particulier le droit à l’égalité et à la non-discrimination et le droit à la vie. Cependant, ces dernière années le rôle croissant et la domination inédite exercés par les marchés financiers et les entreprises privées dans le secteur du logement, généralement désigné par l’expression « financiarisation du logement», a eu des incidences majeures la garantie du droit au logement. En effet, le logement est considéré comme une marchandise, un moyen d’accumuler des richesses au détriment de sa fonction sociale.

La financiarisation du logement a des conséquences dramatiques en termes d’inégalités socio-spatiales, et génère des processus d’exclusion particuliers dans les plus grandes métropoles du monde. Ainsi, les propriétaires de biens situés dans des quartiers prisés se sont enrichis, tandis que l’escalade des prix de l’immobilier a appauvri les ménages aux revenus les plus faibles. Cette financiarisation est aussi le reflet d’un abandon par le secteur public de la régulation des marchés et de l’exigence de redevabilité par le secteur privé, au détriment des droits humains.

Les politiques et recommandations de la Rapporteuse Spéciale, pour protéger le logement en tant que droit humain

Selon la Rapporteuse Spéciale, face à la financiarisation du logement, les pouvoirs publics ont en général privilégié le soutien aux institutions financières au détriment des besoins de ceux dont le droit à un logement convenable était en jeu. Néanmoins, un certain nombre de gouvernements nationaux  et parfois locaux s’attaquent aux effets des flux excessifs de capitaux et de la financiarisation sur l’accès au logement des ménages à faibles revenus. Ainsi, plusieurs gouvernements infranationaux pris des mesures pour garantir la fonction sociale du logement et facilitant l’expropriation des logements vacants. Certains gouvernements ont choisi de favoriser une approche plus inclusive de l’investissement privé dans le logement en proposant des incitations financières visant à encourager la construction de logements à un coût abordable.

Mais, globalement les mesures prises ont été sporadiques et palliatives, tandis que les questions systémiques posées par la financiarisation et la marchandisation du logement restent pour une large part sans réponse et continuent d’être promues par les institutions internationales telles que la Banque Mondiale.

Face à cela, la Rapporteuse spéciale insiste sur la nécessité d’un changement de paradigme. Elle appelle à ce que les États veillent à ce que tout investissement dans le secteur du logement tienne compte de la fonction sociale de ce dernier afin de respecter leurs obligations en matière de droits humains. Cela suppose une nécessaire  transformation de la relation entre les États et les marchés financiers, où la garantie des droits humains doit occuper une place centrale et non se cantonner à une obligation secondaire et trop souvent négligée.

Pour parvenir à ce changement, la Rapporteuse spéciale fait plusieurs recommandations, parmi lesquelles:

  • « De nouvelles initiatives devraient être élaborées pour tisser des liens entre le financement des entreprises et de l’État, le logement, la planification et les droits humains [A/HRC/34/51 p.24]» La Rapporteuse spéciale recommande qu’une réunion internationale de haut niveau réunissant les pouvoirs publics, les institutions financières internationales, les organes chargés des droits humains, des organisations de la société civile et des experts compétents soit organisée pour élaborer une stratégie visant à associer les organismes de réglementation financière  à la réalisation de l’objectif consistant à assurer l’accès de tous à un logement adéquat d’ici à 2030
  • Les stratégies élaborées par les États et les administrations locales pour atteindre la cible 11.1 (villes durables) des objectifs de développement durable et réaliser le Nouveau Programme pour les Villes (Habitat III) devraient inclure une série complète de mesures fiscales, réglementaires et de planification pour refaire du logement un bien social, promouvoir un système de logement inclusif et empêcher la spéculation et l’accumulation excessive de richesse
  • Les traités sur le commerce et l’investissement devraient reconnaître la primauté des droits humains, y compris le droit au logement

CGLU et le Rapporteuse spéciale s'unissent autour de la Campagne « The Shift »

CGLU, par le biais de sa Commission sur Inclusion Sociale, Démocratie Participative et Droits Humains, a collaboré avec la Rapporteuse spéciale des Nations Unies afin de défendre la garantie du droit au logement face à sa marchandisation. Tout au long du processus d'Habitat III, la CISDPDH, la Rapporteuse Spéciale et le Haut-Commissariat aux Droits de l’ONU ont porté la vision d’une urbanisation basée sur les droits.  Dans ce cadre, un évènement parallèle sur les droits des personnes sans-abri dans le Nouvel Agenda Urbain a été organisé, aboutissant à une déclaration conjointe comportant plusieurs recommandations sur le sujet. Lors de la Conférence Habitat III à Quito, la Rapporteuse spéciale, le Haut-commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme et CGLU ont organisé un événement conjoint pour lancer la campagne «The Shift», qui défend la sanctuarisation du logement en tant que droit face au processus de marchandisation. Au cours des prochains mois, la Commission continuera de travailler avec la Rapporteuse spéciale des Nations Unies dans le cadre de cette campagne. En avril prochain, la Commission participera ainsi à une rencontre internationale à Ottawa.